Homélie pour le jeudi Saint                                  9 avril 2020                           Notre Dame   Clisson

Frères et sœurs, il va nous manquer ce geste du lavement des pieds que nous mettons en œuvre chaque année juste après l’évangile de ce jeudi saint… Il va nous manquer ce lavement de pieds parce que comme tout geste il renvoie à notre corps, lieu de la rencontre avec Dieu et nos frères et sœurs.  Notre corps un peu menacé toute de même…Avouons-le, ces derniers temps nos gestes, nos mouvements, sont mesurés, comptés, jaugés et même suspendus…vous avez peut-être vu cette vidéo poignante d’un enfant accourant vers son papa médecin ou infirmier  pour l’embrasser, interrompu dans son élan, et le papa de s’écrouler en pleurs.

Ce geste Jésus l’habite avec tant de solennité, d’amour et de délicatesse, alors que le temps presse et que le filet commence à se refermer sur lui. Ce geste, nous devons le reproduire, il nous met en mouvement les uns vers les autres. Il nous met en contact avec un proche ou un inconnu dont nous nous approchons pour lui apporter un réconfort particulier… Nous-mêmes, nous pouvons bénéficier de ce geste, lorsque notre personne se fait réceptacle d’une attention, d’un soin, d’une aide concrète lorsque nous  souffrons,  éprouvés par la maladie ou atteint dans notre moral. Vous l’avez remarqué vous-aussi ?

Jésus en se mettant à laver les pieds de ses disciples accomplit un geste réservé aux serviteurs, qui sont obligés, presque contraints par leur condition d’obéir aux ordres, de faire ce qu’on leur commande. Jésus «  A pris la condition de serviteur » (Phil 2,7). nous dit Saint Paul.  Oui, il accomplit ce geste de l’esclave pour nous apprendre combien Dieu est généreux, et prêt à tout pour conquérir notre cœur, comme s’il s’agenouillait devant notre conscience, notre liberté jusqu’à se montrer fragile et vulnérable tout en nous apportant ce don nous avons besoin. Il redit à chacun d’entre nous : N’aie pas peur, tu seras toujours digne de moi. Mais si tu veux vivre de moi, laisse toi faire, je serai en toi et tu seras en moi, et tu trouveras le juste chemin du service. Jésus nous montre un Dieu qui renverse la logique humaine.

C’est peut-être ce que nous percevons en ce temps d’épidémie. La Toute-puissance de Dieu nous échappe.  Celle que nous aimons célébrer, louer, et même invoquer.  Celle dont nous rappellerons les hauts faits dans l’histoire du peuple de l’Alliance au cours de la Veillée pascale. Dieu créateur qui soutient dans l’être tout ce qui pousse, respire, vit.  Dieu de l’Alliance passionné d’amour à la conquête de l’homme au cœur de pierre et à la nuque raide. Dieu Sauveur qui libère le peuple hébreu du Pharaon et commande  son Peuple de faire de cet évènement un mémorial. De bien des manières Dieu s’abaisse jusqu’à nous. Comme un bon père protecteur il saisit chacun de ses enfants par les mains et leur apprend à marcher selon ses lois, selon sa Loi et les guider vers la Terre promise, vers la liberté, le relèvement.

C’est vrai…aujourd’hui on aimerait que Dieu manifeste sa puissance et  nous débarrasse de ce virus qui ressemble à l’une des 10 plaies d’Egypte. On apprécierait que Dieu, d’un coup de grâce, d’un coup de force… guérisse, purifie, remette debout les malades et les souffrants, et enfin qu’on sorte de nos maisons. Enfin tout le monde croirait en lui ! Et nous triompherions avec lui : « Vous avez vu, on vous l’avait dit, c’est notre Dieu. »

Mais depuis la croix, nous savons que l’œuvre de Dieu, sa victoire, et même sa gloire prennent souvent la forme d’une défaite, d’un échec…cela les Apôtres en comprendront la portée en étant visité par le ressuscité, ils recevront de la part du Sauveur une sorte de remise à niveau, ils seront éclairés par l’Esprit de vérité le jour de la Pentecôte.

Frères et sœurs, comment percevons-nous Dieu en ce moment ? Comment le prions-nous Dieu ? Que lui demandons-nous ?  Qu’attendons-nous de lui ? Et lui qu’attend-il de nous ? Quelle est la prière de Dieu ?

Nous ne ferons pas fausse route si nous faisons nôtres les mots du psalmiste ; celui-ci est conscient de son incapacité à rendre la pareille à celui  dont il a tant reçu, mais il est aussi tellement confiant dans la compassion de Dieu à l’égard de ceux qui meurent et souffrent, « Il en coûte au Seigneur de voir mourir les siens » ;  un psalmiste qui offre le sacrifice d’action de grâce… c’est-à-dire le sacrifice de « l’eucharistie »…ce mot qui signifie action de grâce et qui est un autre nom de la messe.

Ce psalmiste, c’est moi, c’est vous, c’est tout le Peuple de Dieu mais c’est surtout, et en premier Jésus qui a prié avec ces mots… en sa personne il va s’offrir lui-même en sacrifice d’action de grâce par le don de sa vie sur la croix. Se mettant à notre service en nous lavant les pieds, en prenant soin de notre âme, il va jusqu’au don ultime de lui-même, en mettant son corps à notre disposition : au moment de la crucifixion Jean écrit : « Ils regarderont celui qu’ils ont transpercés » (Jn 19,37), Jésus offert à notre regard, pour notre Salut. Dans l’eucharistie, nous bénéficions de ce même mouvement lorsqu’il offre son corps et son sang en nourriture pour nous faire vivre de sa vie et pour unir tous les membres du Corps-Eglise.

Frères et sœur, l’eucharistie manque à beaucoup d’entre vous en ce moment. Nous reconnaissons sa nécessité dans nos vies, sa profondeur ainsi que l’indispensable communion entre nous en chaque assemblée. Au fond, on pense aux pays de mission où elle manque l’eucharistie… mais où la prière ne cesse pas, l’attachement à l’Eglise non plus… que votre maison, votre lieu d’habitation soit en ces jours un vrai cénacle, cette pièce où Jésus a célébré son dernier repas. N’en doutez pas il vient demeurer parmi vous, en vous.

Amen