Bah…les masques ?

Un ami me faisait remarquer qu’avec un masque on ne voyait plus que les yeux de notre interlocuteur… et que cela changeait quand même un peu les rapports humains…
Le masque fait écran, vous allez me dire, tant mieux, c’est ce qu’on lui demande : faire écran à ces micro particules qui ne doivent pas être projetées vers mon interlocuteur, et que je ne souhaite pas non plus recevoir…n
Le masque fait écran…Ainsi, de la personne que je rencontre, je ne vois d’elle qu’une partie du visage, il me manque quelque chose pour connaître, reconnaître l’autre…notre relation se trouve en quelque sorte amputée car le visage renvoie tout de même à ce qui habite le cœur : ce peut être la fatigue, la joie, la peur. Souvent mon visage « trahit » mes pensées… autant de signes qui accompagnent et complètent si bien la parole, nous en avons tous fait l’expérience, il n’est pas si facile de maitriser notre visage, quand on veut garder son sérieux par exemple, ou ne pas montrer notre trouble,
nos émotions…
Dans nos relations au quotidien, sans nous en rendre compte nous prenons des poses et c’est bien normal, cela n’est pas négatif. Cela se vérifie dans la fonction sociale que nous incarnons dans la société, à la fois pour nous positionner, nous affirmer, nous protéger parfois. Je suis toujours plus que ce je montre, mon visage renvoie à bien plus que ce qui peut en être décrit, il ne peut être enfermé dans le monde sensible et dans un savoir.
Le philosophe Emmanuel Levinas (1906-1995 – Ethique et infini ,1982) explique que le visage ce n’est pas d’abord et seulement une tête, des yeux, des lèvres, un nez. Dès lors qu’on est capable de décrire quelqu’un, c’est comme si on faisait de l’autre un objet.
Or, autrui est un sujet, bien différent d’une chaise, d’une table. Ainsi cette personne que j’ai devant moi et que je perçois n’est pas réductible à sa description aussi précise que je pourrais en faire.
Levinas, affirme que le visage est exposé par sa manière d’être droit, sans défense, il est nu, on ne cache pas son visage normalement comme nos mains. Cette nudité renvoie à la pauvreté, la vulnérabilité, surtout devant un ou des regards de celui ou celle qui me fait face. D’où sa réflexion que cette extrême vulnérabilité du visage de l’autre attirerait la violence, le meurtre et m’invite à entendre la parole du décalogue « Tu ne tueras point » (Dt 5,6-22). Je suis donc responsable de celui qui me fait face…
Dans notre foi cela résonne bien sûr et on peut penser à cet autre verset dans le livre de la Genèse. Un certain Caïn à justement le « visage abattu » car le Seigneur a agréé l’offrande de son frère détourne le regard de la sienne. Le Seigneur l’invite à « relever son visage »…mais c’est peine perdue, peut-être qu’ayant le visage baissé vers le sol, un visage qui ne fait plus face à celui d’Abel, il laisse la violence le gagner et tue son frère : « Suis-je le gardien de mon frère ? », oui, si tu avais pu voir son visage tu n’en serais pas arrivé là… (Gn 4,11-16)

Cet épisode est transposable, toute proportions gardées dans bien des situations qui nous appellent à nous sentir responsable de notre prochain et à ne pas éviter la face, le regard de l’autre, à ne pas nous « voiler la face »…le Pape François nous renvoie souvent à notre responsabilité tout près de chez nous.

Ce récit du premier homicide, nous présente Dieu qui entre en relation, même hors du jardin d’Eden ! Dans les Ecritures, il communique avec nous, entre en conversation…
On parle même du visage de Dieu, de la face de Dieu même si Dieu n’est pas un homme… Le visage de Dieu, la face de Dieu, le psalmiste la cherche dans le psaume 42 : Mon âme a soif de Dieu, le Dieu vivant ; quand pourrai-je m’avancer, paraître face à Dieu ? C’est un désir qui habite le cœur de tout être parce que ce face à face avec la sainteté de Dieu comble totalement le cœur de l’homme, c’est la béatitude, le bonheur éternel.
Déjà dans le livre de l’exode (chap. 34,29…33-35) on découvrait que la peau du visage de Moïse rayonnait après sa rencontre avec le Seigneur sur le mont Sinaï où il avait reçu les commandements. Ce qui l’obligeait à placer un voile sur son visage… peut-être pour ne pas éblouir les fils d’Israël ou pour qu’ils ne le prennent pas pour Dieu…

Ce face à face avec le Père, le Fils le vit depuis toute éternité, dans un élan d’amour qu’est le Saint Esprit, rappelez-vous les 3 visages de l’icône de Roublev (que nous plaçons en lien de cette vidéo). Seul Jésus pouvait venir nous révéler qu’il était possible de « voir face à face », c’est-à-dire de partager cette vie de Dieu. Il est venu parmi nous ; il s’est donné à voir, à toucher… « Qui m’a vu a vu le Père » (Jn14, 9) répond-il à Philippe. Son visage jaillissant de lumière lors de la Transfiguration, son visage de
supplices pendant sa passion, son visage de ressuscité manifesté aux disciples…par notre baptême, ce visage s’est imprimé en nous, nous sommes d’autre Christ, des chrétiens. Saint Paul, faisant référence à l’épisode de la rencontre de Moïse avec le Seigneur insistera sur notre vocation. Je vous lis un passage de la 2 e lettre de st Paul aux Corinthiens :

« Quand on se convertit au Seigneur, le voile est enlevé. Or, le Seigneur, c’est l’Esprit, et là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté. Et nous tous qui n’avons pas de voile sur le visage, nous reflétons la gloire du Seigneur, et nous sommes transformés en son image avec une gloire de plus en plus grande, par l’action du Seigneur qui est Esprit. » (2 Co 3,7s)

En cE mois de mai où nous avancerons masqués, un peu décontenancés par ce nouveau mode d’être avec les autres, avec Marie, croyons que nous pourrons tout de même vivre des face à face fraternels, l’Esprit Saint trouvera toujours le moyen d’unir nos cœurs.