Mgr Percerou rapidement interrogé par les journalistes avoue son étonnement :
Effectivement nous l’avons vu hier diminué, fatigué, mais bien présent au balcon pour donner la bénédiction à la ville et au monde au balcon de la basilique Saint-Pierre. Il a fait lire son message mais c’était un message particulièrement fort pour la Paix, très enraciné dans l’actualité mondiale et dans l’actualité de l’Eglise. On l’a vu prendre un bain de foule, bien présent aux gens qu’il saluait… Il est allé jusqu’au bout de lui-même et il nous a quittés ce matin. C’est vrai que nous, les chrétiens, nous ne pouvons pas nous empêcher de voir comme un clin d’œil ou un « clin Dieu » dans le fait qu’il soit parti au matin du lundi de Pâques, après que l’Eglise ait célébré le grand Triduum pascal où nous fêtons la victoire du Christ sur la mort et le mal. C’est pour nous plutôt un beau signe que le Seigneur adresse à son Eglise.
Qu’est-ce que vous retenez du Pape François ?
Le Pape François avait l’âge d’être mon père. Personnellement, je retiens de lui sa relation paternelle avec nous. Dans la manière avec laquelle il s’adressait à ses interlocuteurs, il faisait preuve de tendresse, d’encouragement, avec la franchise d’un bon père, affectueux et capable de montrer la route à suivre, tout en n’hésitant pas à être exigeant et invitant à la conversion.
Plus largement, je retiens sa simplicité et son souci des pauvres. J’ai été très marqué par son premier déplacement à Lampedusa, cette île sur laquelle viennent s’échouer tant et tant de bateaux surchargés de migrants et qui voit, au large, mourir des hommes, des femmes, des enfants… Je me souviens qu’il portait comme bâton pastoral un morceau de bois surmonté d’une croix, tiré d’une embarcation naufragée, une manière de confier au Seigneur tous ces migrants engloutis. A Lampedusa, il a présidé une célébration pénitentielle pour demander pardon à Dieu de l’indifférence du monde. Il a parlé de « la mondialisation de l’indifférence », et il a dénoncé un système économique qui utilisait l’homme tant qu’il pouvait produire et consommer, n’hésitant pas à le laisser au bord de la route quand il devenait malade, âgé ou handicapé. C’est ce qu’il qualifiait de « culture du déchet », un terme fort qu’il devait utiliser à de nombreuses reprises durant son pontificat. Durant 12 ans, il nous a invités à être une Eglise pauvre pour les pauvres. Dans sa très récente biographie intitulée « Espère », il dit de lui : « je ne suis qu’un passage… », il se présente comme un passeur et il écrit que le plus beau titre pour lui est de signer « Pape François, serviteur des serviteurs de Dieu ».
Un mot résume toute son action à mes yeux : c’est un mot universel, profondément chrétien et qui rejoint chacun dans son humanité, le mot fraternité. Il a été le Pape de la fraternité. Il n’a cessé de nous rappeler que l’Evangile, c’est d’abord accueillir, accompagner et intégrer tout le monde. Aux JMJ de Lisbonne, il a fait répéter aux jeunes à plusieurs reprises ; « l’Eglise est pour tous, pour tous, pour tous… ».
Le Pape François a ouvert la doctrine sociale de l’Eglise à l’écologie, en y ajoutant le terme « intégrale » qui signifie bien que c’est au cœur de la fraternité que se développe cette conscience écologique. Il parlait d’ailleurs de « la préservation de la Maison commune ». Quand la Création va mal, le monde va mal : Les problèmes sociaux, les guerres, les déplacements de population et certains phénomènes naturels destructeurs ont toujours pour cause des atteintes par l’homme à la Création. Il a fait, à ce titre, avancer la réflexion théologique avec l’encyclique Laudato Si, enrichie de l’encyclique Fratelli Tutti.
Est-il un Pape progressiste ?
Il était inclassable ! C’était le Pape de l’Evangile, bien au clair avec le Magistère de l’Eglise, voilà tout… Progressiste sur certains points… Conservateur sur d’autres…. Ce n’est pas le problème. On ne peut pas le comprendre si on ne considère pas, avec lui et dans la longue et belle tradition de l’Eglise, que toute personne est digne d’intérêt, aimée de Dieu, respectable, de sa conception à sa fin naturelle et tout au long de son parcours de vie, tout simplement parce que cette personne a été créée par Dieu et qu’elle est ouverte à la vie avec Lui. Toute personne humaine est don de Dieu, reliée à Dieu et appelée à vivre relié avec ses frères et sœurs en humanité. Toute société se doit donc d’être au service de la personne humaine et de la fraternité humaine. Ainsi, son pontificat aura été profondément spirituel et profondément social.
Il a également invité l’Eglise à être en sortie, à aller aux périphéries, à la fois pour annoncer l’Evangile à tous – et le nombre de catéchumènes de cette année est sans doute un fruit de cette invitation faite à l’Eglise – et, dans un même mouvement, pour témoigner de la miséricorde de Dieu à celles et ceux qui n’ont pas accès aux richesses ou qui sont marginalisés du fait de leur histoire, de leur culture, de leurs origine… C’est sur ce point qu’il s’engagera sur le plan international, d’ailleurs les messages des chefs d’Etat, nombreux aujourd’hui, montrent combien il était reconnu dans sa responsabilité de chef d’Etat, et dans son engagement international.
Il y a un autre point fort dans son pontificat, qui le rapproche de celui de Jean-Paul II, c’est sa passion pour les jeunes. J’ai eu la joie, il y a deux ans, de participer aux JMJ de Lisbonne, avec une délégation de 800 nantais. En l’écoutant et en voyant son rapport aux jeunes, je l’ai constaté, c’était vraiment le grand-père de tous. Il fallait voir la joie des jeunes lorsqu’ils allaient à sa rencontre. Son message était fait de conseils pour bien vivre, pour bien grandir en enfants de Dieu. Des mots simples mais qui les encourageaient à devenir responsables de leur vie, de la société, de l’Eglise, en s’y engageant avec passion. Président pendant 6 ans de la pastorale des jeunes à la Conférence des Evêques de France, je peux témoigner de sa passion pour eux.
Quel Pape pour lui succéder ?
Celui que l’esprit Saint nous donnera ! Les cardinaux vont se réunir et envisager les grands enjeux de la vie de l’Eglise et du monde. Je fais confiance aux cardinaux dans leur discernement, éclairé par l’Esprit Saint. Après, j’ai le sentiment qu’il devra s’inscrire dans cette dynamique que le Pape François a voulu nous donner en développant la synodalité : que chacun, dans le respect de sa vocation particulière, puisse être écouté et participer au discernement pour l’avenir de l’Eglise.
L’aviez-vous personnellement rencontré ?
J’ai été le dernier évêque français nommé par le Pape Benoît XVI et le premier évêque ordonné sous le pontificat du Pape François en avril 2013. Je l’ai rencontré trois fois de façon assez brève. En 2013, peu de temps après mon ordination, j’ai participé à Rome à une session des nouveaux évêques. A cette occasion François nous avait invités à ne pas être « des évêques d’aéroport » mais à être pasteurs du peuple de Dieu qui nous avait été confié. Je l’ai revu au cours d’un pèlerinage, puis en octobre 2018, lors du synode sur les jeunes et les vocations. Là, j’ai passé un mois à Rome. J’ai été frappé par la simplicité du Pape qui se trouvait chaque matin à 8h30, avec son porte document, à l’entrée de la salle du synode, saluant simplement ceux qui arrivaient. Le Pape avait déjà du mal à marcher, il prenait l’ascenseur, mais n’aimait pas le faire seul et invitait les évêques qui passaient à ce moment-là à prendre l’ascenseur avec lui… J’ai donc fait un voyage – assez rapide – en ascenseur avec lui… Un moment bref qui m’a permis de bénéficier de sa chaleureuse simplicité !
Propos recueillis par Isabelle Nagard.